ESCOL
Actualités
Cette journée vise à dresser un état des lieux de la recherche actuelle sur l’école maternelle, tout en contribuant plus largement à la réflexion sur la socialisation enfantine.
Dans les années 1970 et 1980, une série de travaux fondateurs ont jeté les bases d’une analyse sociologique de l’école maternelle française (Chamboredon & Prévot, 1973 ; Dannepond, 1979 ; Plaisance, 1986). Selon Plaisance, de 1945 à 1980, un modèle pédagogique « expressif » gagne progressivement du terrain par rapport au modèle « productif ». Les travaux de Plaisance et de Chamboredon et Prévot font des liens entre ces évolutions des définitions sociales de l’enfant à la maternelle, et sa fréquentation, nouvelle à l’époque, par les enfants des classes moyennes et supérieures. En effet, les valeurs expressives se diffusent alors dans ces catégories sociales, dont est originaire un nombre croissant d’institutrices de maternelle (Berger, 1979). A la suite des travaux de Bernstein (1975), ces premières recherches sociologiques sur l’école maternelle posent la question des effets socialement discriminants de ces évolutions conjointes : les visées pédagogiques du modèle expressif ont tendance à être moins « visibles » aux parents et aux enfants de milieux populaires, voire moins favorables à leur réussite scolaire. L’ensemble de ces travaux des années 1970 et 1980 pose donc d’ores et déjà une série de problématisations-clés sur la socialisation enfantine à l’école maternelle : comment ont évolué et circulé les représentations dominantes de l’enfant ? Comment s’articulent la socialisation à l’école maternelle et les socialisations familiales ? Quels sont les profits différenciés des pédagogies de l’école maternelle selon l’origine sociale des élèves ?
Si la recherche sociologique sur l’école maternelle entre ensuite quasiment en sommeil au cours des années 1990, plusieurs travaux historiques capitaux relatifs aux primes socialisations dans les écoles maternelles et les salles d’asile émergent (Chalmel, 1996 ; Dajez, 1994 ; Luc, 1997). Ils apportent un éclairage sur les évolutions des institutions et des représentations de la petite enfance sur un temps plus long. Ils mettent notamment en évidence qu’au cours du XIXe siècle, la petite enfance s’avère de plus en plus conçue comme éducable moralement et intellectuellement, amenant des adaptations pédagogiques à un public désormais perçu comme spécifique.
L’école maternelle continue à se transformer dans les deux dernières décennies du XXe siècle, notamment en raison des prescriptions de plus en plus insistantes relatives à la prévention des inégalités scolaires. Au cours des années 2000, la recherche sociologique sur la maternelle regagne en vigueur et questionne ces changements. Garnier (2009) y voit une logique de « scolarisation », lisible dans les évolutions administratives, institutionnelles et curriculaires (la loi de 1989 arrime l’école maternelle à l’école élémentaire), logique qui n’est pas sans lien avec le fait que la tranche d’âge 3-6 ans est entièrement scolarisée au milieu des années 1990. Dans un registre plus philosophique, Brougère (2002) étudie le tropisme scolaire de l’école maternelle française. L’équipe ESCOL met davantage l’accent sur les aspects socialement différenciateurs de cette nouvelle orientation de l’école maternelle (Bautier, 2006). Joigneaux (2009 ; 2011) analyse la manière dont les modulations les plus récentes de la forme scolaire à l’école maternelle participent à ces processus différenciateurs aussi bien dans les curricula, que les dispositifs, les supports ou les interactions qui se nouent dans les classes. Alors même que durant cette décennie les prescriptions institutionnelles ne cessent de rappeler le rôle central de l’école maternelle dans la prévention et la réduction des inégalités socio-scolaires, ces travaux soulignent l’écart croissant entre cet idéal et les réalités du terrain.
Enfin, la décennie 2010 s’avère particulièrement féconde pour l’analyse sociologique de l’école maternelle. L’ensemble des problématisations-clés des années 1970 et 1980 se voient reprises et approfondies. Du côté de l’analyse des définitions sociales de l’enfance, des travaux font par exemple le lien entre scolarisation et transformation du rapport au corps de l’enfant, notamment dans ses dimensions affectives et hygiéniques (Garnier & Gilon, 2017 ; Leroy, 2017b). L’analyse de l’évolution des pratiques pédagogiques s’affine, qu’il s’agisse par exemple de caractériser la place du jeu (Joigneaux, à paraître) et ses usages différenciés (Leroy, à paraître) ou la montée en puissance d’une vision laborieuse (“travail”) du métier d’élève en maternelle (Leroy, 2017a). Très récemment, les pédagogies d’inspiration montessorienne connaissent un regain d’intérêt dans l’école maternelle publique, appelant de nouveaux travaux (Leroy & Lescouarch, à paraître). Se voit aussi approfondie de différentes manières la question de la construction des savoirs de l’école maternelle : par le croisement des évolutions curriculaires récentes et de leur mise en œuvre dans les classes ainsi que de leur mode d’appropriation par les élèves et des échanges qui se nouent en situation (Richard-Bossez, 2015, 2016), dans les rapports entre oralité et littératie qui s’expriment dans les pratiques pédagogiques (Laparra, Margolinas, 2016), dans la place accordée au langage dans les pratiques scolaires (Montmasson-Michel, 2016 ; Bastide & Joigneaux, 2018) ou encore dans celle donnée aux ATSEM (Montmasson-Michel, 2017). La question de la psychologisation des difficultés scolaires et plus généralement des logiques de légitimation des inégalités sociales se voit également reprise par l’ouvrage de Millet et Croizet (2016), prolongeant les résultats d’une enquête plus ancienne (Darmon, 2001). Émergent aussi des travaux autour du genre à l’école maternelle (Jarlégan & Tazouti, 2012) qui montrent la nécessité de penser le caractère différencié et donc multiple des socialisations enfantines à l’école maternelle.
Pratiquement au même moment, la socialisation enfantine se voit étudiée tant du côté d’une sociologie de l’enfance qui s’autonomise (Sirota, 1998 ; Sirota, 2006) que du côté d’une sociologie de la socialisation (Darmon, 2006). Par rapport à la plupart des travaux précédents, ces approches mettent davantage l’accent sur le rôle propre de l’enfant dans les processus de prime socialisation dans lesquels il se trouve pris. Prenant acte que la socialisation primaire se complexifie au sein de configurations plurielles où les instances de socialisation se multiplient, ces travaux cherchent ainsi à étudier comment les jeunes enfants se construisent à l’articulation d’une pluralité de processus de socialisation. Parfois opposées, ces différentes approches de l’enfance peuvent s’avérer complémentaires et précieuses pour enrichir les recherches portant sur l’école maternelle dans la mesure où elles peuvent permettre de mieux comprendre comment les activités propres des jeunes enfants se développent à la croisée de déterminations culturelles qui leur sont nécessairement antérieures et donc extérieures (Chamboredon, 1985 ; Darmon, 2006 ; Lignier & Pagis, 2014 ; Gruber, Clark, Hroar Klempe & Valsiner, 2015). Il y a donc lieu d’étudier la socialisation enfantine en maternelle tant du côté des visées socialisatrices de cette institution et des agents qui les mettent en œuvre que de celui de l’activité et du développement des enfants, quelles que soient les manières dont on conçoit conceptuellement cette articulation (actualisation et appropriation de schèmes d’action et de pensée, ’’autonomie’’ relative ou agency de l’enfant…) et donc le processus de socialisation.
Ce rapide retour sur une cinquantaine d’années de recherches sur l’école maternelle, fait apparaître la richesse des résultats produits et la diversité des perspectives. Si la sociologie joue un rôle évident dans la compréhension des socialisations enfantines en maternelle, ces journées souhaitent également mettre en lumière les recherches les plus récentes sur l’école maternelle dans une approche pluridisciplinaire (sociologie, histoire, anthropologie…). Elles ambitionnent également de penser les débats qui animent les recherches relatives à ce premier palier du système scolaire pour saisir les conceptions de l’enfant, de l’école et des processus de socialisation qui les sous-tendent. Pour ce faire les communications proposées pourront s’inscrire dans différents axes.
Télécharger la suite de l’argumentaire et l’appel à communication