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Nous avons appris le décès, mercredi 3 décembre, au Brésil, de Bernard Charlot, Professeur au Département de Sciences de l’éducation de 1987 à 2003, et fondateur, dès son arrivée à Paris 8 de l’équipe ESCOL, aujourd’hui équipe interne du CIRCEFT.
Né en 1944 dans une famille de milieu populaire, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de philosophie en 1968, il enseigne durant quatre ans à l’Université de Tunis, puis à l’École normale du Mans où il contribue à la formation de plusieurs générations d’enseignants du primaire et du secondaire.
Responsable de la rubrique Éducation de la revue Politique hebdo, dans la deuxième moitié des années 70, il publie plusieurs ouvrages consacrés à une analyse socio-politique des systèmes et idéologies de formation et des rapports entre division sociale du travail, inégalités sociales, politiques éducatives, idéologies et pratiques pédagogiques, et à l’histoire de la formation des ouvriers.
Il soutient, en 1985, à l’Université de Nanterre, une thèse d’État sur travaux intitulée Du rapport social au savoir. C’est à son arrivée à l’Université Paris 8 en 1987 qu’il éprouve le besoin de mener des recherches empiriques et fonde pour cela l’équipe ESCOL. Il s’engage alors dans deux chantiers de recherche fondateurs de son travail et de celui de l’équipe : l’un sur le rapport au savoir des enfants et adolescents de milieux populaires, travail visant, en mobilisant différentes approches disciplinaires, à mieux comprendre les processus de construction des inégalités scolaires mais aussi d’histoires et de réussites scolaires atypiques et paradoxales au regard des statistiques, travail qui a donné lieu à l’ouvrage École et savoir dans les banlieues… et ailleurs publié en 1992 (avec É. Bautier et J.-Y. Rochex) ; l’autre consacré aux actions et projets mis en œuvre dans le cadre de la politique d’éducation prioritaire, dont l’analyse montre qu’ils ne vont pas toujours dans le sens de la réduction espérée des inégalités scolaires. Se structurent ainsi deux orientations de travail durables pour Bernard Charlot (et pour l’équipe ESCOL) : l’étude du rapport au savoir des élèves, mais aussi des enseignants, du sens que prend leur expérience scolaire ou leur exercice professionnel, et des processus qui se nouent dans l’ordinaire des classes et des activités d’enseignement-apprentissage ; et celle des politiques éducatives, de leurs conceptions et de leurs modalités de mise en œuvre aux différents échelons, de la décision politique à la salle de classe, en passant par la hiérarchie intermédiaire et l’école ou l’établissement.
Bernard Charlot a joué ainsi un rôle très important dans la recherche en éducation et les débats éducatifs en France, en publiant, seul ou en collaboration, plus d’une quinzaine de livres et une multitude d’articles ou chapitres d’ouvrages collectifs, et en s’engageant dans de nombreuses collaborations et responsabilités dans d’autres domaines que la recherche. Président de l’Association des Enseignants-chercheurs en Sciences de l’éducation (AECSE) de 1990 à 1995, il est également durant les années 90 l’une des chevilles ouvrières de la Biennale de l’éducation et de la formation, fondée en 1992 par son collègue et ami Jacky Beillerot. Il conçoit et coordonne, avec Jean-Claude Émin, un appel d’offres de recherches sur la violence à l’école, puis le livre collectif rendant compte des recherches ainsi financées (Violences à l’école : l’état des savoirs, 1997). Chargé de mission auprès de la Présidence de l’Université Paris 8 au début des années 90, il est élu conseiller municipal de Saint-Denis en 1995, sur la liste dirigée par Patrick Braouzec.
Il quitte l’Université Paris 8 et la France pour le Brésil en 2003, après avoir participé en 2001 à la création du Forum mondial de l’éducation à Porto Alegre. Il est en 2002 Professeur invité à l’Université fédérale du Mato Grosso, puis, en 2006, à l’Université fédérale de Sergipe où il poursuit jusqu’à sa mort une intense activité scientifique à dimension nationale et internationale, notamment en organisant un important colloque annuel intitulé Éducation et contemporanéité. Mi-novembre, il était encore l’un des animateurs d’un colloque international de recherche sur le rapport au savoir à l’Université fédérale du Pernambouc. Les travaux qu’il mène depuis le Brésil prennent une dimension nouvelle, tenant compte de l’évolution des contextes nationaux et internationaux. Dans son dernier ouvrage, Éducation ou barbarie (2020), après un ample examen critique des différents discours contemporains sur l’éducation, il tente de dresser les grandes lignes de ce que serait pour lui « une anthropo-pédagogie contemporaine », qui n’oublie jamais que l’homme – comme espèce et comme individu – « est une aventure », et qui soit à même, face au retour où à la montée de formes anciennes ou nouvelles de barbarie, d’engager les nouvelles générations dans la préservation et l’enrichissement de cette aventure.
Il avait été fait Docteur Honoris causa de l’Université de Patras en Grèce en 2018, et de l’Université fédérale de Sergipe, en 2022.
D’une très grande curiosité et virtuosité intellectuelle, débatteur infatigable ayant le goût de la controverse, orateur brillant, parfois caustique, homme chaleureux et faisant preuve d’un engagement indéfectible au service de la démocratisation de l’enseignement et de l’accès au savoir, qu’il ne confondait jamais avec l’idéologie méritocratique de l’égalité des chances, Bernard Charlot aura marqué de son empreinte des générations de chercheurs en éducation et d’acteurs du débat et de l’action éducatifs.
